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LA PROMESSE
PAR HERVÉ JUSTE
«Si vous me sortez de là, je vous promets d’aider à mon tour.»
En août 1986, le corps brisé par un terrible accident de moto,
Clermont Bonnenfant a adressé cette prière au ciel. Après 21
opérations et 10 mois de claustration, l’apprenti ferblantier de
26 ans est sorti de l’Hôpital Charles LeMoyne. Il articulait avec peine,
marchait difficilement, n’entendait plus d’une oreille, mais au moins il s’en était tiré.
Le jeune homme de Longueuil n’a pas tout de suite tenu sa promesse d’aider. Il a même sombré un peu, croyant sa vie fichue…
Puis Clermont a croisé le chemin d’un homme qui avait une idée folle: ramasser suffisamment de languettes de canettes de bière
et autres boissons pour s’acheter un fauteuil roulant.
Clermont l’a aidé, a trouvé l’idée excellente et a décidé de continuer seul. Difficilement d’abord. Il lui a fallu cinq mois pour
ramasser assez de languettes et offrir son premier fauteuil à une vieille dame de 84 ans. Puis le système s’est affiné.
Un recycleur, dont il tait jalousement le nom, lui offre désormais 70 sous la livre, comparativement aux 50 qui se pratiquent
ailleurs sur le marché. Et il s’est forgé un formidable réseau d’approvisionnement: 76 points de dépôt dans sa seule ville de Longueuil,
qu’il écume inlassablement hiver comme été sur son vélo à trois roues. «Il faut vraiment qu’il ait beaucoup neigé pour qu’il prenne
l’autobus», dit Mario Lefebvre, qui le voit passer au moins une fois par semaine, ramasse pour lui des languettes… et lui vend
accessoirement des fauteuils roulants.
Clermont les use tellement, ses tricycles, qu’il en est à son septième depuis 1990. Les kilomètres, il ne les compte plus,
mais les languettes, oui! Savez-vous combien il en faut pour obtenir un fauteuil roulant tout simple? 1144000!
Si vous demandez à une petite calculatrice combien Clermont Bonnenfant a déjà récolté de languettes, sachant
qu’il a donné 105 fauteuils roulants et 12 fauteuils motorisés – à 3784000 languettes pièce –, elle risque d’afficher un
message d’erreur tellement le chiffre est vertigineux: le petit appartement que Clermont partage avec sa mère a déjà vu
passer plus de 165 000 000 de ces minuscules boucles d’aluminium.
Et ce n’est pas fini. «Les besoins sont immenses, dit Pauline Lafond, intervenante à la Maison du Père. Il a récemment
donné un fauteuil motorisé à l’un de nos pensionnaires, lui permettant ainsi de retrouver une bonne partie de son autonomie.»
Heureusement, la réputation de cet homme de bien dépasse maintenant largement les limites de Longueuil, et les languettes
arrivent de partout…
«J’en reçois de Floride, du Connecticut et du Québec, bien sûr, raconte-t-il. Il y a deux ans, des gens de Saint-Jovite m’en
ont même envoyé 90 boîtes dans un camion!»
«Beaucoup de gens dans sa situation se lamenteraient: c’est la faute du gouvernement… la faute des autres, constate son
ami Clément Rajotte. Lui, au lieu de se plaindre, il agit.»
Celui que la vie a cassé a choisi d’aider des concitoyens encore plus mal en point.
Et il en redemande: «Dites aux gens de m’appeler s’ils ont besoin d’aide, ou s’ils veulent aider. Je suis au 450 677-3792.»
La fondation Clermont Bonnenfant est un organisme à but non lucratif
.